Posteamos el texto de
Antoine Cahen, leído en el Foro de PIPOL8 sobre el auge de los populismos en
Europa, el 2 de Julio de 2017
L’État de droit en
Europe
Entre autorité et
légalité, entre la vie et la mort
par Antoine Cahen
Praticien de la
construction européenne, ensemble de vingt-huit États démocratiques (1), je
croyais jadis que les éléments constitutifs d’une démocratie allaient de soi.
Au premier rang d’entre eux : l’État de droit. Quand y achoppent les tentatives
d’affaiblir la démocratie, se révèle son rôle de garantie ultime (juridiquement
inscrit et articulé dans des constitutions nationales et des traités
européens). Or, au lieu que les manquements à l’État de droit fassent scandale,
lui-même est souvent l’objet de récriminations, voire d’insurrection. Petra
scandali, pierre d’achoppement.
Le populisme est le son
de ce scandale. Son bruit est nourri de la parole de ceux qui, selon les cas,
se servent des « crises » (économique, sociale, financière, migratoire…), du terrorisme,
des inégalités sociales, éducatives, fiscales réelles à des fins particulières.
Tel est le « bruit de notre temps » (2), pour reprendre la formule d’Ossip
Mandelstam.
Scandale d’abord, pour
les populistes, que l’Europe ne soit pas seulement géographie, muette et
docile, pour livres et atlas.
Scandale, ensuite,
qu'elle ne soit pas seulement histoire, selon les traditions dixneuviémistes
rivales (concomitantes de l’acmé des États nations) : à chacun sa grandeur, ses
héros, ses victoires, sa culture, et l’Europe comme surface de projection de
ces grands récits.
Scandale, encore, en
dépit de ce qui est souvent dit, que l’Europe ne soit pas seulement un marché,
qu'elle se soit dotée d'une monnaie « unique », compétence on ne peut plus
régalienne.
Scandale enfin, que
l’Europe prétende à des tâches politiques, institutionnelles, démocratiques,
que ses opposants jugent indues, usurpées, gênantes.
Les traités européens
comprennent une Charte des droits fondamentaux qui a valeur juridique
contraignante et les États membres doivent s'y conformer quand ils mettent en
oeuvre le droit de l’Union. Les critères de Copenhague (3) requièrent de
vérifier le caractère démocratique d’un État avant d’accepter sa demande
d’adhésion à l’Union. Après adhésion, les traités prévoient un mécanisme de
vérification (4), et de sanction (5) en cas de constat avéré de violation grave
par un État membre des valeurs fondatrices de l’État de droit (6). La Cour de
justice de l’Union européenne (sise à Luxembourg) et la Cour européenne des
droits de l’homme (à Strasbourg) sont les gardiennes ultimes de l’État de droit
en Europe.
Il faudrait
contextualiser, éclairer chaque mouvement populiste par l’histoire de chaque
pays, son état social et économique, un parcours démocratique spécifique. Mais,
par définition, ces mouvements populistes, nationalistes, veulent une Europe
sans autorité. Et sans force : c'est pourquoi ils tentent de saper la mise en
oeuvre du droit (certains de leurs représentants refusent de se présenter aux
convocations des juges ou agissent pour rendre inefficaces les mécanismes des
Traités, évitant ainsi les sanctions en cas de manquement).
Pour prospérer, la
monopolisation du pouvoir, le contrôle des médias (par des voies politiques ou
économiques), la corruption – qui sont réalité à des degrés divers dans toute
l’Europe – ne peuvent s’accommoder d’une séparation effective des pouvoirs,
d'un pouvoir judiciaire réellement indépendant, ni d’un droit rendu actif par
la force de son exécution.
Cette volonté de rendre
l’État de droit inerte peut trouver appui, au gré de jeux de pouvoir, auprès de
démocrates « souples » ou « réalistes » qui disent redouter les éventuels
effets contreproductifs, de victimisation par exemple, dont pourraient jouer
les dirigeants des gouvernements mis en cause.
Alexandre Kojève a
élaboré une distinction éclairante entre
«Autorité» et «Droit » : «Le phénomène
de l’Autorité est apparenté à celui du Droit […]. Il y a cependant une
différence essentielle [:] si en principe, l’Autorité exclut la force, le Droit
l'implique et la présuppose, tout en étant autre chose qu’elle (pas de Droit
sans Tribunal, pas de Tribunal sans Police, pouvant faire exécuter les
décisions du Tribunal par force).» «L’Autorité est la possibilité qu’a un agent
d’agir sur les autres (ou sur un autre), sans que ces autres réagissent sur
lui, tout en étant capables de le faire.» (7) Ainsi l’Autorité, selon Kojève,
met en présence « une possibilité d’agir actualisée et une capacité de réaction
inhibée». Il note que «là où il n'y a pas d’Autorité, les “réactions” ne
peuvent être supprimées que par la force» (8).
Et il conclut : «On peut
dire que la Légalité est le cadavre de l’Autorité ; ou, plus exactement, sa
“momie” – un corps qui dure tout en étant privé d’âme ou de vie.» (9)
Kojève développe une
combinatoire (10) qui me semble pouvoir éclairer tant la résurgence et le
ressort des populismes que les conditions et les limites de l’État de droit
dans ses tentatives pour les contrer. Les notions d’autorité, de droit, de
force, de légalité – et de légitimité – sont à articuler si l'on veut doter la
démocratie des ressources nécessaires à la maintenir en vie. II faudrait
ajouter la fiscalité, car l'équité fiscale, la détermination et le contrôle de
l’impôt ont en fait un rapport étroit avec l’État de droit (s'il doit être
réel, et non seulement formel), comme l’indique le fait remarquable que deux
articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 leur
soient consacrés (11).
La question posée aux
démocraties face aux populismes, face à la misère économique, au désarroi
social qu’ils instrumentalisent en usant des formes de la démocratie, est donc
celle de garantir la vie démocratique de l’Autorité – ou, à défaut, du Droit.
Je trouve venus à la
bonne heure le lancement de Zadig et les premiers pas vers une – contemporaine
et européenne – République des lettres (12). Fait sens pour moi une rencontre
comme celle d’aujourd’hui*, entre intellectuels, psychanalystes, politiques (et
quelques « eurocrates »).
Car l’Europe institutionnelle,
politique et administrative, sommée d’agir vite sous le leitmotiv de l'urgence,
des «crises», tend à fonctionner un peu en vase clos, à rester prise dans le
discours et les nécessités du présent.
L’Europe des lettres et
de la pensée, qui offre plus de soin et de temps à ses objets, aux passé,
présent et futur, ne tend-elle pas de son côté à ignorer les structures,
contraintes et contingences de la précédente?
Les premières
institutions européennes furent créées au mitan du XXe siècle. Je dois constater
qu’après presque trois-quarts de siècle, la rencontre entre Europe politique et
Europe intellectuelle, entre Europe de la pensée et Europe de l’action, n'a pas
encore eu lieu. Même la chute du Mur de Berlin et celle de l’Union soviétique,
leurs conséquences pour toute l’Europe n’ont pas conduit à une rencontre
durable.
Cette rencontre pourrait
être préparée sous les auspices de l’Europe analytique, qui nous accueille
aujourd’hui (car, il ne va pas de soi de rendre possible le concert des trois
«professions impossibles»).
La question est: peut-on
– et si oui, comment – faire travailler ensemble chargés de gouvernement,
chargés d'enseignement et chargés d’inconscient?
À quelles articulations,
à quelles logiques, à quelles actions travailler afin que l’Europe... devienne
Europe – se (re)découvre et s'invente?
Commençons.
*Antoine Cahen est
fonctionnaire européen. Il s'exprime ici à titre strictement personnel, ses
propos n'engageant en aucune manière l'institution au service de laquelle il
travaille. Intervention prononcée au Forum organisé du 4e Congrès européen de
psychanalyse PIPOL 8, sur le thème “La montée du populisme en Europe: quelle
réponse des politiques, des intellectuels et des psychanalystes ?”
1: Qui devrait n’en
comporter plus que 27 suite au référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE
(Brexit ) engagé sous la pression d'un parti populiste.
2: Mandelstam O., Le
Bruit du Temps, trad. J.-C. Schneider, éd. Le bruit du temps, 2012.
3: Fixés par le Conseil
européen de Copenhague en 1993.
4: Article 7,
paragraphe 1 du Traité sur l’Union européenne. Une résolution (non
contraignante) a été adoptée le 17 mai par le Parlement européen demandant
d’évaluer, conformément à l’article 7 paragraphe 1, s'il existe, ou non, « un
risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à
l’article 2» du Traité, concernant la situation en Hongrie. Dans le cadre d'un
« mécanisme État de droit » (informel), la Commission européenne a ouvert un
dialogue avec les autorités polonaises.
5: Article 7,
paragraphe 2 du Traité sur l’Union européenne.
6: Article 2 du Traité
sur l’Union européenne.
7: Kojève A., La Notion
de l’Autorité, édité par F. Terré, éd. Gallimard, 2004, ouvrage écrit à
Marseille en 1942., p. 58-60.
8: Ibid,. p. 102. C’est
lui qui souligne
9: Ibid., p. 63. C'est
lui qui souligne.
10: Il distingue quatre
types d’Autorité : « Autorité du Père, du Maître, du Chef, du Juge », et quatre
théories irréductibles de l’Autorité (p. 69 sq). « En fait, les cas concrets
d’Autorité réelle sont toujours complexes : tous les quatre types purs s'y
combinent » (p. 88).
11: Article 13 : Pour
l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une
contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie
entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Article 14 : « Tous les
Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants,
la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en
suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et
la durée.»
12: Miller J.-A., «
Perpétuer la nymphe », Lacan Quotidien n°710 , 30 mai 2017.
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